Bulletin n. 1/2012
June 2012
CONTENTS
  • Section A) The theory and practise of the federal states and multi-level systems of government
  • Section B) Global governance and international organizations
  • Section C) Regional integration processes
  • Section D) Federalism as a political idea
  • Crepu Michel
    L'Europe avec ou sans frontières
    in Revue des deux mondes , Avril ,  2012
    Dans son Journal d’un optimiste qui vient de paraître chez Fayard (1), Guy Sorman se réjouit que nos hauts responsables européens, une Catherine Ashton, un Herman Van Rompuy soient aussi discrets, aussi peu messianiques que possible. Il y voit, avec raison, la volonté européenne par excellence de ne pas marcher au « guide », au « chef ». Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, mais il n’y a rien à faire : l’Europe se plaît à la nuance, au coupage de cheveux en six, à l’anti-slogan administratif préférable aux envolées lyriques, à la pulsion dictatoriale. Il faut se réjouir avec Guy Sorman d’une telle inaptitude, signe de bonne santé mentale. Faut-il en déduire pour autant la nocivité radicale du principe lyrique ? On a le droit, esthétique et politique, de ne pas le penser. L’Europe, par son histoire, son histoire artistique notamment, s’est révélée une telle matrice à produire des formes inédites qu’il faut faire preuve d’un singulier puritanisme pour s’interdire d’y penser seulement. Quand on a Bach et Rubens, Cervantes et Shakespeare dans son panier, on ne vient pas se plaindre du peu de charisme de M. Van Rompuy. C’est tout le sens de ce dossier des Deux Mondes spécialement consacré à la question européenne : non un numéro masochiste, non plus un numéro au forceps, comme s’il fallait absolument se convaincre des qualités intrinsèques du Vieux Continent. On dit toujours : « L’Europe est la grande absente des débats. » Et il est vrai que les candidats à la présidentielle, qui ne craignent rien tant que d’ennuyer le public avec des histoires de traités renégociables à l’infini, se gardent bien d’entrer dans cette région si peu « vendable » à l’applaudimètre. Il n’empêche que la problématique européenne est derrière les discours de tribune : rien de ce qui est promis, jusqu’à l’excès hypocrite comme d’habitude, ne pourra se faire en dehors d’une logique européenne. Un certain souverainisme capable de regarder les choses en face peut comprendre cela sans avoir l’impression de trahir le général de Gaulle, commandeur invisible de cette campagne. Encore faut-il savoir parler la langue du Vieux Continent, plutôt que de la noyer dans un sabir indigne des plus hautes traditions du discours diplomatique. Pour l’heure, on dirait qu’entre la faconde populiste et l’ennui bruxellois, il n’y a qu’un désert. Or ce désert est habitable pourvu qu’on se donne la peine d’y entrer. Cela veut dire que les Européens ont à se réapproprier leur propre corps, historique, politique, religieux, esthétique : Érasme ou Thomas d’Aquin, c’est tout de même autre chose que la moraline à l’américaine version « Tea Party ». M. Mitt Romney, le républicain en vogue, a conté récemment ses souvenirs de Paris au temps de Mai 68, un cauchemar pour le jeune mormon qu’il était : dommage que la tradition mormone ne sache pas goûter aux douceurs du printemps parisien ! Si M. Romney revient par ici, nous lui offrirons une séance de rattrapage. On s’est effrayé naguère de ce que l’on puisse évoquer une supériorité de la civilisation européenne sur les autres. On a eu tort de courber la tête devant ce qui doit être au contraire un motif de fierté. Les Européens peuvent être fiers de cette supériorité-là qui oblige plus qu’aucune autre à ne pas se prendre pour le roi de l’univers. Comme le pape est le serviteur des serviteurs (les lecteurs non papistes nous excuseront de cette audacieuse comparaison), l’Europe peut tirer gloire et force de cette posture, aux antipodes du repli frileux. Puisse ce numéro des Deux Mondes en tirer lui-même un enseignement. Bonne lecture, Michel Crépu 1. Guy Sorman, Journal d’un optimiste, Fayard, 544 pages, 23,66 euros.
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